Les stages de tonte à Longo maï sont devenus une tradition. Prenons le temps d’un regard en arrière. À la coopérative de Longo maï-Le Pigeonnier, à Limans en Provence, nous avions, en 1976, année de la sécheresse, un troupeau de 160 brebis Mérinos d’Arles, un de 150 Bizet en Ardèche et un de Noir du Jura et de Roux de Berne en Suisse. La même année nous avions acquis la filature de Chantemerle près de Briançon dans l’intention de revaloriser les diverses laines par la transformation et la vente directe
À l’époque, en France, les coopératives régionales de collecte et de classement des laines pour un paiement à la qualité aux éleveurs s’effondrent les unes après les autres. La concurrence des grands pays producteurs lainiers mondiaux et des fibres synthétiques lamine les productions hétérogènes en France et en Europe.
L’industrie lainière délocalise, les petites filatures ferment. Cet automne-là, Christian Destouches et sa compagne Odile nous rendent visite au Pigeonnier suite à notre appel à créer des solidarités avec les éleveurs victimes de la sécheresse, pour acheminer des fourrages ou trouver des pâturages disponibles.
Transmettre des savoir-faire
Christian est alors le dernier expert lainier et responsable du service laine à l’ITOVIC (Institut Technique Ovin Caprin). Depuis plusieurs années, il a introduit la méthode de tonte «Bowen» par des stages – gratuits à l’époque – destinés aux jeunes éleveurs, bergères et bergers sortis des écoles et autres «néo-ruraux». Ainsi notre projet de relance de la filière laine l’intéresse-t-il vivement. Il y voit l’application concrète de son combat, en reliant les actrices et acteurs de cette filière : élevage, tonte, lavage, feutrage, matelassage, filage, tissage, tricotage, etc. Le tout à échelle humaine. La connaissance de cette matière et les savoir-faire pour sa transformation et avant tout la tonte, qui en est la récolte, nous manquent. Christian nous propose spontanément de faire un stage d’initiation à la tonte sur notre troupeau mérinos.
La tonte est une récolte
Fin février 1977, lors du premier stage de tonte dans la bergerie du Pigeonnier, il y avait une dizaine de stagiaires, dont la moitié de Longo maï (nous préparions des équipes de tonte autour de nos fermes coopératives pour approvisionner la filature). Christian Destouches animait la session par ses explications et ses nombreuses recommandations sur la valeur et les qualités : «Source de création infinie et de confort pour l’humanité, moteur de civilisation, la laine doit vivre et faire vivre». La tonte est une récolte dans le plein respect de l’animal et de sa toison.
On utilisait des machines à moteur dans la poignée avec des peignes étroits, ça chauffait pas mal et le satané fil électrique s’entortillait autour des pattes ! Christian, inlassablement, avec une canne en bambou, indiquait une mauvaise position par-ci, une fausse coupe par là, bref il encourageait souvent, prévenait et félicitait le mérite des participants.
Il discutait avec chaque stagiaire sur les motivations de chacun, les perspectives, ouvrait des opportunités de travail, indiquait des contacts pour des embauches. Depuis, nous avons effectué ce stage chaque année, au Pigeonnier et quelquefois au Mas de Granier en Crau, en y ajoutant le tri des toisons en différentes qualités pour la filature.
Sur quarante années, nous avons accueilli près de 500 stagiaires qui ont, plus ou moins artistiquement, décoiffé quelque 10 000 brebis sous la bienveillance de six ou sept formateurs. Que tout ça dure encore longtemps, c’est le sens de «longo maï» en provençal.
Hervé
Cet article est paru dans les Nouvelles de Longo Maï, en 2017.